Dans ce temps d’oubli et de cloisonnement où l’information reine désarticule l’histoire et masque son sujet tout en l’effaçant, le Chat bleu et son animatrice (ne faut-il pas dire son âme ?) Anne Danais ACCUEILLENT. Accueillent le Chant, le Poème, la Vie, quand il est si courant d’ensevelir ceux qui ont oublié de mourir. C’est précieux, c’est rare.
Anne Danais est la maîtresse des lieux, maîtresse d’elle-même, présence intemporelle et tout à la fois moderne et hors des modes, elle tient le pas gagné. Image forte et permanente de la femme comme descendue d’un verset de la bible, rapide, elle glisse dans l’espace et sur le sol sans cacher ses qualités ni ses audaces contradictoires, ni ses gentils doigts de pieds. (« C’est très intelligents les pieds » ! dit Prévert…) Sa vigilance inquiète et son appétit de séduction n’entravent ni le grave ni l’espiègle, ni l’obstination. Elle chante et écrit bien aussi. Elle fourmille d’idées mais donne parole à celles des Autres. Je pense à cette toile de Paul Klee représentant une flèche qui indique un éventuel chemin à prendre, une émotion à découvrir, un temps d’arrêt pour le regard, la vibration, la communion. Flèche, en elle-même belle en couleurs et en traits et qui n’a rien d’un poteau indicateur. Flèche pleine page, pleine toile, telle une voile hissée pour prendre le vent. Le Chat bleu, embarcation sans triche ni vanité.
Avant d’entrer en scène, le feu, la table, le vin, la complicité… c’est bon. Puis le public, sur son trente et un, arrive, paye sa place, murmure et fait silence, ouvre les yeux et les oreilles, partage et remercie.
Dans ce lieu, l’enfance rôde encore. L’intime et le social ont fait leur trou tant bien que mal. La foi, venue d’on ne sait où, tient compte de la blessure, de l’hésitation, de l’incontournable mal de vivre. Le chant des Autres a fait école. Ce n’est pas rien.
Ici le Poète a repris sa place au centre du village, de l’école et du vent. On lui signifie avec naturel qu’il est aussi nécessaire que l’eau à boire, aussi irremplaçable que le boulanger, l’instituteur, le pharmacien et le dentiste… aussi indispensable que l’oiseau, le chien, le renard…
Il faudrait un Chat bleu dans chaque coin de France pour pouvoir TOUT DIRE, et pour lancer trilles de cœur et de ferveur.
Mais RIEN ne pourrait aller sans EUX, ceux du Chat bleu : musiciens, compagnes et compagnons, régisseurs, amoureux qui ŒUVRENT et alimentent le feu, l’écho en ce logis libre sans frontières ni interdits.
Hélène Martin