Lettres au Chat Bleu
Quand le merle blanc rencontre le chat bleu
Souvenir d’une halte heureuse et sans pareil
Impasse des Poètes, c’est déjà un appel ! Drôle d’adresse au goût de paradoxe et de promesses… L’impasse, on ne peut pas aller plus loin ; les poètes, une espèce en voie de disparition et en quête d’attention. Si c’est ici qu’ils se retrouvent, on ne demande qu’à entrer ! Et voilà qu’une porte s’ouvre… sur un arbre, dans les branches duquel se balancent aux vents contraires les deux billes de verre du Chat Bleu, qui changent de couleur au gré des regards. Ici plusieurs voix se sont déjà succédé. La cour a le parfum des jardins de l’enfance. Et la maison, au cœur de laquelle crépite un feu bienfaisant ne demande qu’à abriter une histoire de plus. La vôtre par exemple, qui se fond vite à celle des autres voyageurs, arrivés ici comme vous, par la simple force d’attraction d’une âme éprise de théâtre, Anne Danais, qui sait comme certains rares individus faire de la vie un art.
Tenir un lieu pour un artiste, c’est faire œuvre d’humilité, de sacerdoce, de sacrifice. On donne son temps et son espace de rêve et de création à d’autres pour qu’ils le fassent leur. Et cette généreuse mise à disposition rappelle qu’il y a dans ce métier une tradition corporatiste d’entraide, de soutien, de complices liens. Au royaume d’Anne Danais, il faut prendre ce qui n’est pas donné si l’on ne possède pas la clé de la liberté discrète et de l’intuition secrète des choses sensibles et cachées.
On porte la couronne sur scène, on apporte son univers, on remporte avec soi un brin de cette joie si belle et si vitale que les pèlerins trouvent dans les haltes sur le chemin. Et entre deux, on a aux lèvres un sourire de bonne nature, on ouvre un pot de confiture, on accomplit avec confiance les gestes simples de la vie…
Dans la salle de classe transformée en salle de spectacle où acteurs et spectateurs mêlent leurs souffles pour fabriquer ensemble le petit miracle de la représentation unique, s’agitent les fantômes des enfances passées, de cette institutrice dont la vie s’est ici écoulée dans la passion de la transmission, de tant de rires, de larmes, de mélancoliques attentes, de peurs inavouées, de petites satisfactions, d’étonnements devant le mystère de la vie qui se révélait pan à pan, jour après jour.
Le comédien ajoute à cette ribambelle d’instants qui constituent l’existence, ajoute sa fable, son conte, son morceau d’histoire… et la vie continue à s’amonceler dans cette petite boîte à images et à émotions. Et les yeux couleur Charente des spectateurs croisent leurs bienveillants regards chargés de mystères intérieurs et d’instinctive sympathie. À côté, la maison ancrée dans ce royaume où le théâtre et la vie se partagent le trône, la maison attend le retour de sa Reine…
Dans ce petit coin de terre où se concentrent tant d’humanités de passage, on se dit que le meilleur moyen de passer le temps sans avoir l’impression de le perdre, c’est d’imiter les enfants : jouer, jouer ensemble et jusqu’à plus soif, jouer pour tous ceux qui cherchent à travers ces jeux, la vérité!
Merci Anne, merci Jackie, merci à toutes les fées du Chat Bleu qui veillent sur le Théâtre en cet endroit du monde où il fait bon venir oublier tous les autres, le temps d’un rêve partagé !
Stéphanie Tesson
Il y a des griffes dans lesquelles on aime se faire prendre
Il y a des griffes dans lesquelles on aime se faire prendre.
Sacré greffier ! Bleu de surcroît. On ne sait pas pourquoi Chat Bleu, c’est comme ça.
Il a sa gouttière au bord de la Charente. Une gouttière buissonnière, écolière.
Un gouttière accueillante, collective, nombreuse.
Une gouttière de luxe en somme, bien éclairée, d’où l’on chante des chants de gouttière.
L’écuelle y est bonne et le panier douillet.
On dit que la nuit tous les chats sont gris. Non, les soirs de spectacles, à St Savinien,
et c’est heureux, tous les chats sont bleus.
Et puis qu’importe la couleur du félin. Préférons dans tous les cas les chats aux chiens ! (pardi, il n’y a pas de chat policier…)
Rémo Gary
Ici Morice, chanteur de son état
Ici Morice, chanteur de son état, mais un peu vagabond notoire et amoureux du vivant…
Hé bien, en parlant de « vivants », je puis dire que nous en avons trouvé un nid dans votre « chat bleu » !
Si naturel, si évident, qu’il m’a semblé vous avoir toujours connues !
Jocelyne, Jacqueline… et Anne (par télépathie), vous fûtes nos fées mitonneuses de bonne aventure,
avec ce public rendu fervent, c’est à dire chaleureux, complice, souriant et grave à la fois…
Je vous en remercie du fond de ce cœur qui bat tendre en songeant à vos visages.
Cela donne sens et foi dans ma vie de saltimbanque !
Hugo et Marie-Laure furent tout aussi ravis que moi de la rencontre, malgré tous ces kilomètres dispensés.
Instant d’éternité partagé en vos murs…
Morice Benin
J’aime quand le chat bleu sort ses griffes
J’aime quand le chat bleu sort ses griffes pour défendre le territoire
des mots, des notes et des couleurs.
J’ai posé mes oeufs dans son panier et ma foi, ça a eu l’air de lui
plaire, ça m’a fait ronronner le coeur.
Il faudrait des centaines de chats de cet acabit et de toutes les
couleurs dans notre beau pays de France si défiguré ces temps
par le pouvoir du fric et le cynisme ambiant.
Je lui souhaite longue vie libre et heureuse et je caresse en
passant le bleu de son poil, c’est le bleu de l’impossible.
Jean Vasca
Tout ici ressemble à la marmite de vin chaud
Tout ici ressemble à la marmite de vin chaud qui frissonne sur le poêle, à feu doux. Tout est prêt pour réchauffer, énivrer mais pas trop et faire s’envoler les esprits. Chaque chaise est un théâtre, chaque mur est un musée, chaque pierre porte le sourire d’un enfant, l’amour d’une vieille ou le désir de l’autre. C’est comme un bateau immobile qui voguerait encore, planté là au beau milieu d’un abandon et qui offre nos rêves en partance à des mariniers de la terre ferme.
Tout ici ressemblait à cette marmite de vin chaud, il ne me restait plus qu’à la faire flamber !
Christian Paccoud
Bleu comme les yeux d’Anne Danais
La Maison du Chat Bleu…
Bleu comme les yeux d’Anne Danais
Gris ouverts, de la couleur de l’huître
et du tilleul
La cour de l’ancienne école
n’est plus pleine d’enfants
Elle est pleine d’âges
Qui viennent y jouer à tout
Et s’attraper eux-même
Haut-perchés dans le silence d’Anne
Un silence profond d’où jaillissent des chats bleus
À la table des hôtes
La parole tourne
et les gestes se tendent
Véronique Pestel
Je n’ai pas oublié cette maison d’école
« Je n’ai pas oublié cette maison d’école
où je naquis en février dix neuf cent vingt
Les vieux murs à la chaux ni l’odeur du pétrole
dans la classe étouffée par le poids du jardin… »
On m’avait parlé d’une ancienne école et ce sont ces vers de Cadou que j’avais en tête quand j’ai poussé la porte du Chat Bleu. Je venais d’être absolument étonné de lire une citation de « mon » Delteil sur le mur blanc : « Ce que tu rêves, fais-le ! » et la petite cour, les appentis, la classe me sont apparus; il y manquait des mioches en blouses grises courant après un ballon rouge mais à la place de drôles de sculptures, des brochettes de livres et des noms d’auteurs illustres à la pelle, Dante, Cervantès, Molière et Cie… J’ai attendu un bon moment car tout dormait dans cette petite abbaye de Thélème. Au-dessus du mur d’en face, une grosse tête de vache blanche est venu me souhaiter la bienvenue sur un grand silence dans ce petit hameau perdu du côté de Saint-Jean-d’Angely ainsi qu’un bon chien noir qui eut la délicatesse de ne pas aboyer. Voilà comment m’est apparu ce lieu hors temps, hors norme, « hors les murs » comme on dirait à Rome, « off » comme on dit en Avignon.
J’y ai passé deux jours délicieux et paisibles avec Anne, discrète et attentionnée et j’eus bonne et belle joie à donner deux récitals différents chaque soir dans ce petit théâtre pour un public attentif et chaleureux.
Un grand merci à cette équipe humaine, au mystérieux chat bleu que je n’ai pas croisé et dans l’espoir d’y revenir un jour chanter, dire ou lire du Cadou ou du Delteil … « ce que tu rêves, fais-le ! »… n’est ce pas ?
Philippe Forcioli
Il y a de plus en plus de chats bleus qui rôdent dans la campagne
Il y a de plus en plus de chats bleus qui rôdent dans la campagne.
Dans la nouvelle société culturelle (institutionnelle, médiatique, bavarde, prétentieuse, injonctive, normative, pesante, arrogante, ludique, dérangeante, décalée, parisienne, bref insupportable), il n’y a plus place, en principe, que pour les conformistes, les conformes et les conformés. Mais des gens résistent. Ils pensent que la culture, c’est eux… Ce sont des bandes cachées dans les bois, des maisons du chat bleu dans le fond des hameaux, en Charente. Ailleurs le chat est gris, ou la souris est verte, la lampe allumée, la table mise. De toute façon, l’amitié est chaleureuse et la salle pleine… Les Garlopeaux, c’est une maison d’école dans un hameau. On s’organise, on fait de l’art, on fait surgir la parole sans demander la permission.
Ce que je vois ici, ce n’est pas seulement la qualité de la relation, l’exigence artistique, le « haut-niveau » culturel (pour parler comme les institutionnels). C’est, en action, le phénomène de réappropriation de la culture. On n’attend plus qu’on s’occupe de nous, qu’on nous dise ce qui est bien, on se cultive, on est cultivé.
J’aime ce refus partout qui sourd, se ramifie, se multiplie. J’aime, ici et dans cent, demain mille, lieux nouveaux en France une nouvelle culture qui s’autogénère. Qui ne tient pas compte des ordres d’en haut, des journaux, de la télé, des « conseillers » à la culture, des spécialistes. Ni de leurs modes, foucades, engouements, obsessions, clanismes.
Bref, une contre-culture. Moins foutaise et bidon que l’autre du même nom. Moins bavarde et protubérante. Plus à la place qu’il faut. Plus humaniste aussi ; plus humaniste surtout.
Jacques Bertin
Dans ce temps d’oubli et de cloisonnement
Dans ce temps d’oubli et de cloisonnement où l’information reine désarticule l’histoire et masque son sujet tout en l’effaçant, le Chat bleu et son animatrice (ne faut-il pas dire son âme ?) Anne Danais ACCUEILLENT. Accueillent le Chant, le Poème, la Vie, quand il est si courant d’ensevelir ceux qui ont oublié de mourir. C’est précieux, c’est rare.
Anne Danais est la maîtresse des lieux, maîtresse d’elle-même, présence intemporelle et tout à la fois moderne et hors des modes, elle tient le pas gagné. Image forte et permanente de la femme comme descendue d’un verset de la bible, rapide, elle glisse dans l’espace et sur le sol sans cacher ses qualités ni ses audaces contradictoires, ni ses gentils doigts de pieds. (« C’est très intelligents les pieds » ! dit Prévert…) Sa vigilance inquiète et son appétit de séduction n’entravent ni le grave ni l’espiègle, ni l’obstination. Elle chante et écrit bien aussi. Elle fourmille d’idées mais donne parole à celles des Autres. Je pense à cette toile de Paul Klee représentant une flèche qui indique un éventuel chemin à prendre, une émotion à découvrir, un temps d’arrêt pour le regard, la vibration, la communion. Flèche, en elle-même belle en couleurs et en traits et qui n’a rien d’un poteau indicateur. Flèche pleine page, pleine toile, telle une voile hissée pour prendre le vent. Le Chat bleu, embarcation sans triche ni vanité.
Avant d’entrer en scène, le feu, la table, le vin, la complicité… c’est bon. Puis le public, sur son trente et un, arrive, paye sa place, murmure et fait silence, ouvre les yeux et les oreilles, partage et remercie.
Dans ce lieu, l’enfance rôde encore. L’intime et le social ont fait leur trou tant bien que mal. La foi, venue d’on ne sait où, tient compte de la blessure, de l’hésitation, de l’incontournable mal de vivre. Le chant des Autres a fait école. Ce n’est pas rien.
Ici le Poète a repris sa place au centre du village, de l’école et du vent. On lui signifie avec naturel qu’il est aussi nécessaire que l’eau à boire, aussi irremplaçable que le boulanger, l’instituteur, le pharmacien et le dentiste… aussi indispensable que l’oiseau, le chien, le renard…
Il faudrait un Chat bleu dans chaque coin de France pour pouvoir TOUT DIRE, et pour lancer trilles de cœur et de ferveur.
Mais RIEN ne pourrait aller sans EUX, ceux du Chat bleu : musiciens, compagnes et compagnons, régisseurs, amoureux qui ŒUVRENT et alimentent le feu, l’écho en ce logis libre sans frontières ni interdits.
Hélène Martin